Là-dessus, Soko (j’avais entendu une personne qui passait l’appeler ainsi) se redressa de tout son long et me demanda si j’étais d’accord.
« Que vous me montriez cette chose, être, entité ? Certainement, car de toute façon… »
Je me tus car il mit un doigt sur sa bouche et fit soudain une drôle de tête, comme s’il écoutait quelqu’un d’autre en train de lui parler. Tout concentré, tout ouïes. Je supposai que c’était sa manière histrionesque de refléchir, ou de paraître refléchir.
Mais j’entendis aussi, finalement, car un silence progressif s’installait, et ce bruit nouveau agissait comme une ombre qui couvrait un terrain jonché d’étincelantes particules. Je l’entendais mieux parce qu’il tuait tout autre bruit. Les garçons se turent un à un, et même les oiseaux, les insectes. Seul le lac respirait, comme la brise caressait son corps lustré.
Le nouveau était curieux, un bruit produit par quelque chose de lourd et de lent, oui, lourd, lent, mais aussi, puissant, si puissant que c’en était – terrifiant. Je n’avais pas vu ce qui faisait ce bruit sourd et lourd, mais je savais d’instinct que c’était quelque chose qui intimait respect et épouvante. Autour de nous, certains s’éloignaient lentement à reculons, et ceux qui ne bougeaient pas avaient pris l’immobilité de morceaux de bois mort.
Je sursautai. Venait de bondir devant moi un garçon qui dansait en tenant l’image sculptée d’un crocodile pourvu d’un majestueux phallus. C’était fort inattendu, et je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. Soko se tourna vers moi, la bouche grand ouverte, tandis que la danse du garçon au crocodile devenait de plus en plus endiablée. Il lança la statuette de saurien bien haut dans le ciel.
Elle partit comme une vrille, et retomba très, très loin, vraiment très loin. Au beau milieu du lac en fait. Cela me coupa toute envie de rire. Voilà ce à quoi je pensai, naturellement, en seulement cinq secondes, et sans autant de mots : « Si cette statue est partie aussi haut et est retombée en produisant un aussi puissant éclaboussis au milieu du lac, c’est qu’il doit être bien lourd ; si un garçon d’apparence aussi frêle a pu le projeter aussi loin et aussi puissamment, c’est qu’il s’agit, ma foi, d’un démon ! »
Mais le garçon dévalait le chemin caillouteux de la berge, et sans penser à ce que je faisais, je le suivis. C’était tout à fait irrésistible. D’ailleurs personne ne pensa à me retenir. Puis je vis le garçon accroupi à côté d’une espèce de monticule vert et gris, dont le haut, cependant, se releva, dont le bas se mut lentement, avec ce bruit là, ce fameux bruit, et je reconnus un lézard gigantesque, un crocodile qui devait peser, par là, cinq tonnes au bas mot, et dont la gueule s’ouvrit démesurément, s’apprêtant selon toute vraisemblance à croquer d’une bouchée l’imprudent garnement qui était allé lui titiller les naseaux. J’étais fort pressé de voir cette horreur se produire. Tout bonnement : « s’il le bouffe, il ne pourra pas me bouffer ! » Voilà ce que je pensai, ne me sentant pas hors de portée, d’autant que mes
jambes s’étaient refroidies totalement.
I stopped talking, because he put a finger on his lips and looked suddenly quite weird, as if someone was whispering weird things to him. Very focused and attentive. To me, that was perhaps his histrionic way of thinking, or at least of looking as if he was thinking.
But finally, I heard it, because silence was gradually settling, and that new noise was feeling like a shadow swallowing a field lit with bright little bits. I could hear it better because it was killing all other noise. The boys, one by one, fell silent, and even birds and bugs. Only the lake breathed, as the breeze stroke its lustrous body.
The new sound was strange, a noise made by something bulky and slow, yes, bulky, sluggish, but also great, so great that it was – chilling. I hadn’t seen what was making that subdued, heavy sound, but I instinctively knew it was something which commanded respect and scare. Around us, some were slowly stepping back, and those who did not move took on the freeze of dead wood.
I was startled. In came leaping a boy who danced while holding high the sculpted image of a crocodile endowed with a glorious phallus. That was so unexpected that I went into a loud laughter. Soko looked at me, gaping, while the dancing of the crocodile boy turned wilder and wilder. He threw the saurian figurine high upward. It went like a gimlet, and fell down spinning very, very far, really too far. In the middle of the lake in fact. That did it for my laughter. Here’s what I thought, obviously in five seconds, and without so many words : “if that statue’s gone so high and fell down with such a huge splash in the middle of the lake, then it’s quite heavy ; and if that frail juvenile managed to throw it so far and powerfully, then I’d bet he’s some kind of demon.”
But said juvenile was now running down the cobbled path to the low bank of the lake, and, without thinking, I followed him. Unstoppable impulse. No one thought of holding me back anyway. Then I saw the boy squatting next to some sort of low mound, all green and gray, which, however, lifted its upper part, and whose lower part moved, with that sound, and I recognized a giant lizard, a crocodile who could weigh, oh, easily five tons minimum, and whose mouth opened wide, getting clearly ready to chomp on the careless brat who went and picked his nose. I was rather keen on beholding the horrific event. Well, to put it fair and square: “if he eats him, he won’t eat me!”, that’s what I thought, seeing that I wasn’t far from a strike and my legs had grown cold completely.
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