Pour étranges qu’aient été tous les phénomènes décrits jusque là, j’en avais vu de plus surprenants par le passé. Mais je dois reconnaître que je ne m’étais jamais de ma vie trouvé dans un endroit qui ne semblait accepter qu’une seule couleur, et par ailleurs, je ne pouvais oublier le sens des convenances, dans quelque situation que je me trouvasse. Bien que ce nocher branchu fût un être singulier, il était probable qu’il avait un géniteur et une génitrice, peut-être tout un village d’êtres branchus, et il devait, par conséquent, avoir reçu une éducation quelconque. Je m’éclaircis donc la gorge pour me présenter le plus cérémonieusement possible dans les circonstances données (C'est-à-dire que cet individu me présentait toujours son postérieur).
Après que j’eus accompli cette formalité, je vis une sorte de feuille choir lentement de l’une des branchioles du nocher, et atterrir précisément dans mon giron. C’était apparemment une note, que je m’empressai de lire. Voici ce qu’elle portait :
« Bonjour passager. Je suis Triokolo
Si tu te plains du bleu qui est ton lot
Remarque que le bleu est la teinte du monde
Elle colore les cieux et les ondes
C’est la carnation de la planète
Et aussi celle des nuits de fête.
Mais de toute façon, passager,
Nous ne faisons qu’y passer.
Une fois les dangers traversés ce soir,
Je t’amuserai de mon histoire. »
Décidément, quel être intéressant ! Ces branchioles sont donc une espèce d’organe de communication ! Quelle autre surprise me réservait-il ?
Mais en lisant la note, j’avais remarqué quelque chose qui avait fait passer une ombre sur mon cœur. Je la relus rapidement. Ah ! oui, voici : « Une fois les dangers traversés ce soir. »
Des dangers ? Que voulait dire cela ? Et de plus, étant donné que tout était bleu, par quels signes saurais-je que le temps passe et le soir tombe ? Je vis d’un coup tout l’inconfort de cette situation, qui confinait au cauchemar : s’attendre à un danger inconnu qui devait survenir à un moment insensible. Je me sentis devenir fort malheureux, et m’apprêtait à demander à mon compagnon rimailleur d’éclaircir ma lanterne lorsque, justement, je vis à l’horizon devant nous une intense lumière blanche qui mangea tout le bleu – et de cette lumière jaillirent des choses qui paraissaient vivantes et malveillantes. J’eus assez de présence d’esprit pour me rendre compte que c’était des poissons. Du moins ils en donnaient l’impression – mais ils étaient fort gros, comme gonflés, et leur tête ressemblait à une gueule affamée, vorace.
Nouvelle note chéant – et le nocher bondit dans la lumière, transperçant d’un bâton aigu un poisson. Tandis qu’il se livrait au carnage, je lus :
« Passager, admire les poissons de Séléné
Dont une morsure pourra te mener
A travers des fièvres éternelles
Vers une mort faite de larmes et de fiel. »
For all their strangeness, the phenomena I have thus far described were not stranger than things I had seen in the past. But I must confess I had never been in a place which seems to accept only one color, and besides, whatever the situation, I always was keen on the sense of common courtesy. Even though that boatman with branches and buds was a peculiar type, he likely had parents of both sexes, and perhaps an entire village of like-shaped personages, and so he must have some basic principles of good manners. Clearing my throat, I introduced myself as ceremoniously as possible under the existing circumstances (must I remind everyone that I was still facing the behind of that person?)
After I was done with that formality, I saw a kind of leaf dropping slowly down from one of the smaller branches of the boatman, and landing on my lap. That looked like a note, and I read on. Here’s what it said:
Greetings passenger, Triokolo’s my name
If this blue all around seems all too lame
Observe that for the globe ‘tis the hue
Skies and all water are things blue
This is indeed the planet’s color
The glow night revelers look for.
But, consider passenger that, anyway
Here we are only making our way.
Once the evening’s perils are left behind
My fun story I’ll bring to your mind.
This is decidedly a most interesting being. So those back branches are organs of communication of sorts! Did he have other surprises like that one in store?
But while reading the note, something had cast a slight shadow over my heart. I read it again, quickly. Oh, here it was: “Once the evening’s perils are left behind.”
Perils? What the heck did that mean? And besides, given that everything was blue, how was I to tell that night was falling? I suddenly realized the difficulty of my situation, which verged on the nightmarish: to expect an unknown danger which was set to spring at an unknown moment. I felt I was becoming rather miserable, and was about to ask my rhyming companion to enlighten me a bit when, precisely, I saw rising at the horizon an intense white light which ate up all the blue – and from that light pounced things that looked living and nasty. I was sufficiently alert to see that they were fish. Or they looked so – but they were fat, as if inflated, and their head looked like a famished, voracious jaw.
New note dropping – and the boatman jumped up in the light, piercing one fish with a pointed stick. As he was thus performing quite a massacre, I read:
Passenger, the fish of Selene do admire
One bite would entrench you in the mire
Of fevers eternal whose bitter ties
Will drag you down to tearful demise
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