Cette exclamation de Soko était pour le moins inattendue, et je n’étais pas sûr qu’elle s’adressait
à moi. Je regardai instinctivement autour de moi, mais il n’y avait personne à qui ces mots avaient pu s’adresser, et d’ailleurs tout le monde
me regardait à présent avec un air pensif qui semblait souligner que j’étais en cause.
« Veuillez vous expliquer – qu’ai-je fait ? », fis-je en me tournant de nouveau vers Soko, mais ce dernier ne semblait plus s’intéresser à moi. Il retirait ses vêtements. Son visage était calme, on dirait qu’il n’était plu
s Soko, il n’avait plus ce caractère vulgaire et impatientant, il était remplacé par un autre lui-même, qui me parut tout à fait séduisant et tout à fait intimidant. Néanmoins, je tâchais de ne pas me laisser faire.
« Dites donc ? Vous pensez que c’est le moment de prendre un bain ? » dis-je brusquement.
En réponse de quoi, Soko :
« Tu vas entrer dans le monde bleu, et suivre le nocher branchu. »
Et avant que j’ai pu faire les remarques qui s’imposaient devant ce charabia, Soko fit un signe de ses doigts, comme pour tracer un quadrilatère, et une fenêtre bleue apparut soudain sous ses yeux, un beau carré si intensément bleu que tout autour l’air lui-même parut se fondre dans l’ocre de la terre, et tirer vers un brun uni. Soko regarda intensément cette fenêtre, sans mon étonnement, mais avec une attente très vive dans son corps vibrant. La fenêtre s’élargit soudain, et dans le temps d’un sou
ffle, tout, absolument tout devint bleu autour de nous, et Soko s’agitait à faire des bizarres manipulations avec un bizarre instrument qui, en y regardant de près s’avéra être l’antique quantificateur – l’abaque. Les doigts agiles de Soko coururent sur les billes avec une prestesse singulière… Et soudain je me rendis compte que ce garçon, en fin de compte, n’était vraiment pas Soko. En fait, c’était celui-là même, le garnement qui semblait avoir transformé un reptile monstrueux en colibri. Comme je ne me retenais jamais de poser des questions, bien que personne ne parût juger nécessaire de me répondre, je demandai au garnement ce qu’il avait fait de Soko. Je ne pense pas qu’il m’ait entendu. Il disposait à présent des grands livres noirs sur le vide bleu, les ouvrit, et se mit à les feuilleter, cherchant manifestement une page en particulier. Il étala soudain les deux livres grand ouverts, et de l’un d’entre eux surgit avec un bruit de papier crissant une grande et longue chose creuse, une pirogue couleur d’eau de source, arborant un joyeux petit fanion – tandis
que de l’autre bouquin s’éleva, avec le même bruit, un être bleu au dos hérissée de branches festonnées d’écriteaux, de buissons de gribouillis.
Le garnement éclata de rire, et soudain, il ne fut plus là. Le nocher branchu se tint débout devant moi, immobile, dans la pirogue, les mains croisées par derrière, sous les magnifiques lobes de ses fesses. Je compris l’invitation. Je montais dans la pirogue,et me sentis aussi devenir tout bleu...
That exclamation from Soko was rather unexpected, and I wasn’t sure it was directed at me. I instinctively looked around, but there
was no one to whom these words would have been directed, and for that matter, everyon
e now was eyeing me in a pensive stare, which seemed to stress that I was the interesting object here.
“Would you explain
– what have I done?” I said, turning again to Soko, but the latter did no longer look interested in me. He was undressing. His face was calm, he didn’t look like he was Soko, he had lost the vulgar and the irritating in his cha
racter, he was replaced by another of his selves, who was truly seductive and quite intimidating. Regardless, I didn’t want him to get the best of me.
“Say sir, you think this is time for bathing?”, said I roughly.
Soko’s reply was this:
“You’re going to enter the Blue Universe, and follow
the branch-adorned boatman.”
And before I could make any observations that such gobbledygook deserved, Soko waived his fingers, as if drawing a four-sided figure, and a blue window suddenly materialized under his gaze, a square so intensely blue that all around the air itself seemed to blend into the ochre of the earth, and to turn into solid brown. Soko stared fixedly at the window, without my puzzlement, but with some lively anticipation permeating his excited body. Then all of sudden the window widened, and, in a whiff, everything became totally cerulean around us, and Soko was now busy performing bizarre manipulations with a bizarre device, which, after closer look, turned out to be the ancient quantifier – the abacus. Soko’s nimble fingers ran over the little balls with an outlandish quickness… And that’s where I realized that this was not in fact Soko, not really. This was that same little rascal who appeared to have transmogrified a mammoth reptile into a humming-bird. Since I had developed the habit of asking questions which no one ever thought worthwhile to answer, I asked that scallywag what he had done to Soko. I don’t think he heard me. He was now putting up large black books against the blue void, opened them, and browsed through them, evidently in quest of a certain page. Then he spread them wide open, and from one of them a big, long, hollow thing, a spring-water-colored dugout sporting a gay little pennant, emerged, in a crisp hiss of paper – and from the other, with the same sound, a blue being with his back bristling with branches scalloped with notices, thickets of scribbling.
The little rascal laughed, and suddenly, was gone. The branch-adorned boatman stood up in front of me, motionless, the hands crossed in his back, under the alluring bowl of his buttocks. I got the word. I climbed into the dugout, and felt I was turning all indigo, me too…